baldr a écrit : dim. 30 nov., 2025 3:41
Bonjour à tous, j'ai pensé à vous proposer une pochade, un texte hors-sujet, puisque cette section y invite : qu'auraient dit, peut-être, les grands compositeurs, de mes partitions pour piano ?
......
Bonsoir Baldr,
Ces textes me font penser aux écrits de Gould (Qui n'hésitait pas à s'auto-interviewer) ou un peu aux “Exercices de style“ de Raymond Queneau.
A côté de la démarche humoristique, je pense qu'elles sont en bonne adéquation avec ce qu'aurait pu écrire ces compositeurs. (Mais je ne connais ni Fontana ni Huillet).
La réponse de Boulez ne m'étonne pas: C'est un prétentieux très o.q.p.
Celle de Satie... J'ai bien ri !
J’adore !
Mention spéciale à Chopin, Boulez, Mozart et Satie. C’est vraiment bien pensé, ça donne « vrai » tout en étant vraiment drôle. Joli talent que tu as !
celime a écrit : jeu. 04 déc., 2025 23:53
Bonsoir Baldr,
Ces textes me font penser aux écrits de Gould (Qui n'hésitait pas à s'auto-interviewer) ou un peu aux “Exercices de style“ de Raymond Queneau.
A côté de la démarche humoristique, je pense qu'elles sont en bonne adéquation avec ce qu'aurait pu écrire ces compositeurs. (Mais je ne connais ni Fontana ni Huillet).
La réponse de Boulez ne m'étonne pas: C'est un prétentieux très o.q.p.
Celle de Satie... J'ai bien ri !
Bis repetita ! (=Une autre s.v.p.)
Hello celime, merci pour ta lecture, je suis content que tu l'aies appréciée.
Merci à Pos également
C'est amusant, merci.
Ca me fait penser à ce que nous avait raconté un prof sur Ravel: un élève devenu compositeur par la suite (mais j'ai malheureusement oublié qui) lui avait apporté une composition. Ravel s'est énervé, a déchiré la partition tellement il la trouvait mauvaise. L'élève était très déçu et avait tellement travaillé qu'il trouvait ce comportement injuste. Il a ensuite quitté la maison de Ravel et ce dernier est sorti en le rappelant. L'élève s'est dit: "il va s'excuser", et Ravel de lui dire: "Ce que vous avez fait était vraiment mauvais".
Une deuxième nouvelle de ma plume, pour les fêtes.
Stabat mater
Il entra dans la cuisine mais l’horloge du four afficha soudain 22h38. En multipliant les deux premiers chiffres, on obtenait le nombre de Julien, le 4238... Et nous étions le 31 décembre 2013.
31-12-13.
Pour Julien, quoique professeur de mathématiques dans un lycée, ou parce qu’il était professeur de mathématiques, justement, ces chiffres qui se répétaient en tournoyant formaient un signe.
D’abord, le 4238 : c’était la clef qu’il avait dû entrer dans son logiciel d’organisation, ainsi que son numéro de membre de l’association de jeux de mathématiques, mais aussi un nombre aperçu dans la garantie de son impédancemètre, et le résultat de la concaténation des numéros de bus qu’il prenait pour se rendre à son lieu de travail, le 42 et le 38 — 5 % autour de 40. Ensuite, les trois premiers chiffres du monde, ceux qui mettaient en marche la civilisation, 1, 2, 3 ; 13 était le palindrome de 31 et 12, le nombre situé une unité seulement avant 13.
Julien voulait savoir pourquoi il lui était envoyé un tel faisceau numérologique en un jour si particulier, et pourquoi il considérait ce signe en tant que tel. Cela prouvait que son cerveau avait été marqué par le 4238. Il délaissa le champagne et les bouchées surprise du chef de chez Faranbulle, qu’il était venu chercher dans la cuisine, et se rendit dans sa chambre. Son fauteuil l’attendait. Il resta debout.
S’il était troublé… c’est qu’il croyait à quelque chose. Et croire, ce n’était pas anodin. Cela voulait dire qu’il se passait quelque chose.
Julien consulta le pavé numérique de l’ordinateur pour le comparer à celui de son téléphone, et pensa à la statue d’un Christ en croix situé à un carrefour à l’orée de la ville. Les chiffres, disposés en carré, formaient une croix. Seul le zéro faisait bande à part.
Julien s’était rapproché de l’Église catholique à la suite d’un accident de voiture, à un carrefour. Il attendait, depuis l’événement, quelque chose susceptible de donner une signification à la vie. Égaré, cependant croyant, il avait consenti à se convertir au christianisme le plus officiel, avec son ennui, ses rites désincarnés, sa rhétorique amphigourique.
Mais cette fois, ce n’était pas l’Église : Dieu envoyait un signe, par le truchement de ses marottes personnelles. Julien avait lu chez Saint Augustin que Dieu nous connaissait mieux que nous-mêmes et qu’il nous parlait en notre langage. La soufflerie de l’ordinateur se mit en marche comme pour confirmer son intuition. Dieu, pas moins.
Où ? Quand ? Comment ?
Où : forcément devant la statue du Christ en croix à l’orée de la ville. L’église habituelle était plus proche, et Sainte-Marie-de-la-Providence plus miséricordieuse. Mais, d’après le dicton, la première idée était la bonne, et un dicton si banal avait traversé son esprit avant les autres considérations, comme pour simplifier la complexité dans laquelle il jonglait depuis le début non sans tachypsychie.
Quand. « Le ciel n’attend pas. » Ça ne pouvait être qu’à minuit tapantes, au cœur du solstice d’hiver, au moment où la lumière est le plus faible, l’instant originel de la Nouvelle Année, la renaissance du calendrier.
Julien savait la ponctualité de Dieu : une fois l’heure passée de deux ou trois secondes, il fallait attendre dix ans pour qu’arrive une autre occasion. En 1993, ayant formulé le vœu de décrocher son diplôme, il avait manqué le train à destination de Paris où s’était déroulé l’examen. Il avait pris le train suivant et était arrivé à temps pour l’examen… trop tard. Il avait dû attendre 2003 pour percevoir la possibilité d’un amour simple et sincère avec une femme, la sienne.
Rendez-vous avec Dieu à minuit à la croix du carrefour ?
« 23h12 ». Et il restait 48 minutes, un nombre formé par les extrêmes de 4238, séparés par « 23 ». Le doute n’était plus permis.
Il enfila son grand imperméable, prit congé auprès de ses invités qui attendaient le champagne et les petits fours, traversant le salon sans leur laisser le temps de réagir, et partit sous la pluie.
*
Julien avait perdu un bras et sa compagne dans l’accident de voiture et n’empruntait plus que les transports en commun. Or, il n’y avait plus de bus à cette heure-ci et le métro se déplaçait le long des grandes artères. Quant à sa montre, il la portait jusque sous la douche et au lit.
Il se mit à courir en pensant à tout ce qu’il avait à demander. Il cherchait la bonne formulation pour remercier le Créateur et pour savoir si sa femme le voyait du haut du paradis ou depuis quelque part tout en se disant qu’il s’y prenait au dernier moment pour des choses à ce point importantes qu’elles déterminent les virages les plus cruciaux d’une trajectoire biographique si bien qu’en passant devant un arrêt de bus il bouscula un sac de couchage dressé en station debout d’où émergeait une tête :
— Oh ! Ah ! cria la dame en manquant de tomber.
Julien la rattrapa.
— Oh, je m’excuse, Madame, je suis très pressé. Je vous ai fait mal ?
— Oh ! Non, non.
— Ah tant mieux, vous m’avez fait peur. Je suis pressé, je vous abandonne, je m’excuse.
— Je n’ai pas mangé, donnez-moi quelque chose, s’il vous plaît, Missieu, quelque chose à manger !
— Je n’ai rien sur moi.
— S’il vous plaît, Missieu ! Je dois manger !
— Je suis très pressé. Je ne peux pas m’arrêter. Je vous promets de revenir dans une heure.
— Oh ! Missieu, croyez-moi, je vous en supplie ! Sans rien à manger, dans une heure je serai morte ! Morte !
— Je ne voudrais pas qu’il vous arrive malheur, mais qui vous dit que vous allez mourir si vite ?
— Oh ! Missieu, je vous en supplie, croyez-moi ! Croyez-moi ! Vous n’avez qu’un bras !
Le bras manquant de Julien entrait en résonance avec tout ce qui manquait à la dame. Lui et la dame avaient la disparition en commun.
— Je vous apporte quelque chose mais je n’aurai pas le temps de vous faire la conversation, dit Julien. J’ai un rendez-vous important.
— Oh merci ! Merci, Missieu !
Julien rebroussa chemin jusqu’à la gare où deux boulangeries vendaient des sandwichs à des heures tardives.
Les deux boulangeries étaient fermées.
Il se souvint d’une épicerie de dépannage toujours ouverte, dans la rue même de son domicile, et, passant devant chez lui, s’y rendit en courant.
L’attente au comptoir lui permit de reprendre son souffle. L’horloge affichait « 23h32 », palindrome évident : il était revenu sur ses pas et il devait à nouveau revenir sur ceux-ci. Il demanda un sandwich avant de se raviser pour consulter son porte-monnaie et emporta autant de pains, fruits, paquets d’apéritifs, pots de miel et bouteilles d’eau minérale qu’il avait d’argent sur lui.
En toute hâte, il apporta la grande poche grassement garnie à la SDF, lui laissa son manteau dans le même mouvement, avec une adresse qui lui appartenait, et courut pour se rendre sur le lieu-dit, à en perdre haleine.
Au détour d’une rue, la croix avait disparu.
Le socle en béton, cubique, avait lui aussi été déplacé.
Ou détruit.
Julien s’arrêta de courir et avança au pas de marche vers le carrefour, en ralentissant, et se tint sur l’emplacement vide, marqué d’un carré à la peinture jaune. Il éclata en sanglots à cause de toutes ces années à espérer en vain, à cause du malheur d’être soi, à cause de sa stupidité et de sa vanité de s’être cru appelé, jusqu’à tomber sur les genoux. Quand le sanglot s’arrêta, il consulta sa montre. Les cloches retentirent.
Tu as un vrai talent pour l'écriture , cette nouvelle est captivante je trouve , en tout cas je l'ai lue d'un trait !
Bravo à toi et , de plus , elle est de saison !