Brahms et Schumann

Théorie, jeu, répertoire, enseignement, partitions
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JPS1827
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Re: Brahms et Schumann

Message par JPS1827 »

Evidemment, on peut toujours jouer le jeu de la contradiction, j'aurais d'ailleurs parfaitement pu me faire à moi-même toutes tes remarques, mais j'ai l'impression que tu fais semblant de ne pas comprendre ce que j'ai écrit.

J'ajouterai juste une remarque : le public vient entendre de la musique, il recherche une certaine émotion, qu'il peut d'ailleurs associer librement à d'autres (personne n'est le maître de ce que doit ressentir le public), et vient dans l'idée d'entendre un artiste musicien qui lui donne quelque chose, il ne vient jamais écouter un élève pour voir s'il remplit correctement un "cahier des charges". Ralentir ou ne pas ralentir, ça change complètement le morceau, certes, mais c'est au pianiste de faire entendre ce qu'il entend lui-même. La plupart des grands pianistes d'ailleurs ne réfléchissent pas des heures aux "choix" qu'ils vont faire, ces "choix" (qui n'en sont pas vraiment) s'imposent à eux la plupart du temps.

Je pense justement qu'un pianiste de ton niveau gagnerait à ne plus se considérer comme un élève apprenti pianiste, mais comme un musicien avec son ressenti et ses idées. D'ailleurs réfléchis un peu, si dans un concert très émouvant et très captivant, tu vas dire à l'oreille de ton voisin "oui, mais il ne fait pas ce qui est écrit", il y a peu de chances pour que tu sois écouté d'une oreille compréhensive (j'édulcore beaucoup mon propos en l'exprimant de la sorte). Dire "il ne fait pas ce qui est écrit" correspond en fait à une vision élitiste des choses, qui ne seraient compréhensibles que par des initiés connaissant la partition. La musique doit toucher à l'intime de chacun, et on doit surtout être heureux d'être applaudi par "ceux qui n'y connaissent rien", plus que par les professeurs de conservatoire et autres jurys de concours.

Et ce c'est une erreur de croire que c'est parce qu'on est déjà un grand pianiste qu'on peut se permettre d'imposer sa vision de l'œuvre ; c'est au contraire parce que tu imposes ta vision de l'œuvre (avec en amont tout ce qu'il y a à faire pour rendre ta vision effectivement convaincante) que tu deviens un grand pianiste.
Jean-Luc
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Re: Brahms et Schumann

Message par Jean-Luc »

JPS, je n'aurais pas mieux dit!
Tout à fait d'accord avec tes deux derniers posts.

Nox, je suis un peu étonné que tu te poses tant de questions, et surtout ce genre de questions. Elles sont légitimes, mais dans une certaine mesure seulement. Quelqu'un de ton niveau devrait passer à autre chose je crois...
nox
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Re: Brahms et Schumann

Message par nox »

Vous partez du principe qu'on ne joue que pour un gentil public compréhensif, mais je comptais aussi mettre cette oeuvre au programme de concours.
Et même dans certains concerts, il y a parfois une certaine attente, parce qu'à la différence des grands pianistes, je ne suis personne. Nous devons constamment faire nos preuves lors des prestations. Et ce que l'on discute comme un choix d'interprétation peut-être considéré comme une grosse erreur d'interprétation.
Oui effectivement, on peut se "contenter" d'être applaudi par ceux qui n'y connaissent rien, mais dans ce cas on reste en bas de l'échelle. Pour monter dans ce milieu, on ne peut pas penser de cette façon. Ce ne sont pas "ceux qui n'y connaissent rien" qui font ou défont un musicien.

Outre tout cela, ça me paraît quand même légitime, quand je travaille une oeuvre de cette dimension, d'y réfléchir à deux fois avant de prendre une décision qui peut s'avérer être en contradiction totale avec l'esprit de la pièce.
Encore une fois, prendre l'autoroute et jouer d'instinct, très bien, mais à la condition que cela n'entre pas en contradiction avec le texte [-X Or là c'est le cas. Et pas juste sur une mesure ou deux...Bref, les questions de ce genre, ça fait partie du travail.
JPS1827 a écrit :La plupart des grands pianistes d'ailleurs ne réfléchissent pas des heures aux "choix" qu'ils vont faire, ces "choix" (qui n'en sont pas vraiment) s'imposent à eux la plupart du temps.
Pourquoi dis-tu ça ? Je me souviens d'une interview de Dinu Lipatti par exemple, qui expliquait que pour certaines oeuvres, il passait 2 mois à étudier la partition et à "travailler" sans utiliser le piano, afin de savoir exactement ce qu'il allait faire de chaque passage.

Je vous suis reconnaissant de vos conseils plein de sagesse, d'autant que vous savez le respect que je vous porte à tout deux. J'ai longtemps raisonné comme ça, mais je suis un peu dans ma phase "je peux faire quelque chose de bien"/recherche de reconnaissance. Et quand on est adulte amateur et qu'on veut laisser sa trace d'une certaine manière, il faut jouer des coudes...
Line-Marie

Re: Brahms et Schumann

Message par Line-Marie »

nox a écrit :Pour monter dans ce milieu, on ne peut pas penser de cette façon. Ce ne sont pas "ceux qui n'y connaissent rien" qui font ou défont un musicien.
...................................................................................................................................
Et quand on est adulte amateur et qu'on veut laisser sa trace d'une certaine manière, il faut jouer des coudes...
mais tu ne seras jamais pianiste professionnel de toute façon ! J'espère que dans tout ce projet de vie , tu éprouves quand même du plaisir....
Il y a 80 millions de pianistes chinois, dont 10 millions ont un très haut niveau pianistique , et ce niveau très souvent égal ou supérieur à des pianistes européens.
Certaines universités chinoises comptes 40 000 pianistes qui souhaitent devenir professionnels....
....
Dans un salon parisien, début juillet 2012, pour honorer la mort d'une jeune femme de 24 ans, il n 'y avait pas moins de 12 pianistes de moins de 25 ans , tous de très haut niveau , avec des jeux magnifiques et tous veulent être professionnel.....

Mais il n'y a de pianiste que si il y a un public et ce public c'est toi, c'est nous , c'est tous ceux qui peuvent éprouver un réel plaisir à entendre de la musique, ceux qui vont vibrer à l'écoute de telle mélodie, de telle façon de jouer, le public c'est un monde auquel il faut plaire si le piano est ton gagne-pain, mais le public peut-être aussi un lieu d'expérience où l'on peut proposer une interprétation, sa propre interprétation, qui ne va pas forcément plaire à tous (ouf !!!) et si on est pas payé pour le faire , si on ne doit rien au public, alors tout est possible et c'est génial !!!
il n'y a que des génies du piano comme Richter ou Sokolov(ou bien d'autres mais pas tant que çà) qui peuvent proposer leur propre vision d'une oeuvre , en se foutant royalement de plaire ou déplaire. Nous aussi, bien que pas géniaux , nous avons le droit d'essayer , à condition de rester vrai, sans prétention et toujours désireux de servir la musique et du coup tout ce que tu dis n'a plus lieu d'être !

Donc la pratique du pianiste amateur se situe ailleurs, et dans un cadre , à mon avis , beaucoup plus intéressant.
Je crois , en toute modestie , que tu fais fausse route... mais pour beaucoup d'entre nous , l'expérience est nécessaire et la raison nous semble rébarbative.
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Oupsi
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Re: Brahms et Schumann

Message par Oupsi »

nox a écrit : J'ai longtemps raisonné comme ça, mais je suis un peu dans ma phase "je peux faire quelque chose de bien"/recherche de reconnaissance.

Bonjour Nox,

Débat intéressant!

En lisant cette phrase, j'ai d'abord lu "recherche de CONNAISSANCE".
En relisant, ah, c'est REconnaissance qu'il veut dire!

C'est bizarre parce que je dirais qu'on ne sait jamais très bien pourquoi on est "reconnu". Par contre, on sait intimement ce que l'on découvre (instinctivement, "artistiquement") et ce que l'on connaît (fruit du travail), et vue sous cet angle (mais est-ce cela que tu veux?) ta recherche me paraît éminément respectable et pas si incompatible avec l'expression d'une liberté. Cela ne me paraît pas incongru qu'on cherche passionnément une vérité, un sens, et qu'on ne la trouve pas immédiatement en soi, qu'il faille procéder par cercles ou cycles répétés, "moi, mon écoute intime" / la partition, l'écriture, l'univers du compositeur". La révélation se produit de l'intérieur vers l'extérieur, mais aussi de l'extérieur vers l'intérieur. Ce que Pessoa appelle la vérité du dedans et la vérité du dehors. L'une n'est pas moins vivante que l'autre. D'autant que cette vérité "extérieure" est censée refléter la vérité "intérieure" d'un autre, le compositeur. La médiation se démultiplie. (C'est pourquoi JPS a aussi tout à fait raison lorsqu'il suggère de se libérer d'une sacralisation littérale du texte. Tous ceux qui aiment le texte savent bien qu'un texte est tout sauf littéral.... donc l'infini nous guette, entre deux notes, toujours!)

Où est la marge? C'est je crois une très vaste question qui a aussi un histoire comme vous le rappelez tous les deux. Il est très probable, d'ailleurs, que l'on oscille d'un point à l'autre entre les deux extrêmes, plusieurs fois dans sa vie.
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Okay
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Re: Brahms et Schumann

Message par Okay »

Le débat devrait à nouveau opérer une distinction centrale. Il y a les compositeurs qui écrivent très précisément, et les autres.

Pour reprendre l'exemple de Ravel, qui est sûrement l'un des plus extrêmes, il fait partie de ceux dont le texte est suffisamment fourni d'indications de tout ordre. Donc c'est très facile de savoir où est la limite au delà de laquelle on contredit la partition. Et en deça de laquelle il reste pourtant mille choix possibles aux interprètes, qui respecteront tous la partition à la lettre (on dit à la note ?), et offreront pourtant quelque chose de très hétérogène. Je pense que ça illustre bien la démarche de nox.

En ce moment je déchiffre Iberia (aïe les yeux, mais les oreilles jubilent) et j'ai l'interprétation de A. de Larrocha dans la tête. C'est pour sûr une référence absolue dans ce répertoire, que j'adore et m'a poussé à enfin oser acheter cette partition. Mais depuis que je déchiffre le texte en faisant vraiment attention, je suis frustré par cette pianiste. Son jeu est certes très vivant et créatif, mais le texte est encore plus riche. Et il manque des choses, il y a des beautés qui ne sont pas vraiment mises en valeur.. Je me suis tourné vers Hamelin, mais je n'ai pas supporté plus de quelques minutes son jeu glacial dans ces morceaux. Alors, lui il joue vraiement tout ce qui est écrit, mais quel ennui. Je me trouve donc entre ces 2 versions (je vais en chercher d'autres) qui me frustrent chacune à leur manière.

En fait, "le reste" des compositeurs forme l'immense majorité. Déjà avant le romantisme, la notation musicale est moins chargée, laissant de fait plus de place à la personnalité de l'interprète. Le texte est si nu, qu'il doit combler un vide, sinon il ne joue "que" les notes. Si on prend 2 pianistes au hasard, on trouvera toujours beaucoup plus de différences entre leurs 2 Bach qu'entre leurs 2 Liszt.
Mais même parmi les romantiques, quel bazar parfois. En travaillant la barcarolle de Chopin, et en écoutant des choses surprenantes, je me suis attelé à une petite enquête éditoriale, car j'avais des doutes sur des syncopes et des dynamiques. Que de différences, de retouches. Impossible de trancher :? Il semble établi que Chopin n'interprétait jamais ses propres oeuvres de la même façon, modifiait son texte dans les partitions des élèves, bref ... En un mot, une recherche d'authenticité ici est peine perdue. Schumann semble également précis dans son texte, mais en tant qu'artiste, ça transpire si peu la rigueur mais tellement la liberté. Devons nous nous octroyer des libertés à l'instar du compositeur ? Il est clair qu'il y a plus de place pour l'interprète pour ces derniers. Mais je m'accorde avec nox que ça doit se faire dans les limites évidentes du texte. Parfois il n'y a pas d'option. Si pas de rallenti et pas de point d'orgue, il ne faut pas en inventer. Mais il y a la place d'élargir le phrasé (ce n'est pas rallentir) et d'allanguir la pause (ce n'est pas faire un point d'orgue).

Il me semble finalement que le critère essentiel reste celui du bon goût. Dans mon cas personnel ça tend à me rendre moins puriste qu'avant. Mais je continue d'acheter Urtext autant que possible, ça reste moins pollué d'ajouts clairement ultérieurs, et un minmum de travail musicologique assure quelque chose de plutôt cohérent.
nox
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Re: Brahms et Schumann

Message par nox »

strumpf a écrit : mais tu ne seras jamais pianiste professionnel de toute façon ! J'espère que dans tout ce projet de vie , tu éprouves quand même du plaisir....
Je n'ai pas parlé de devenir pianiste professionnel :shock:
strumpf a écrit : Il y a 80 millions de pianistes chinois, dont 10 millions ont un très haut niveau pianistique , et ce niveau très souvent égal ou supérieur à des pianistes européens.
Certaines universités chinoises comptes 40 000 pianistes qui souhaitent devenir professionnels....
....
Dans un salon parisien, début juillet 2012, pour honorer la mort d'une jeune femme de 24 ans, il n 'y avait pas moins de 12 pianistes de moins de 25 ans , tous de très haut niveau , avec des jeux magnifiques et tous veulent être professionnel.....
Je ne comprends pas l'objet de ce point :|
Par ailleurs, je trouve présomptueux de dire que le niveau des pianistes chinois est "très souvent égal ou supérieur à des pianistes européens". Je trouve ce raccourci trop tranché, le niveau pianistique est une chose délicate à juger, et de plus dans les grands concours, je vois en ce moment plus de russes que d'asiatiques.
Pourquoi toujours ce besoin de considérer "les chinois" comme une caste à part, mieux ou pire que les autres dans sa globalité ? :roll:
strumpf a écrit : il n'y a que des génies du piano comme Richter ou Sokolov(ou bien d'autres mais pas tant que çà) qui peuvent proposer leur propre vision d'une oeuvre , en se foutant royalement de plaire ou déplaire. Nous aussi, bien que pas géniaux , nous avons le droit d'essayer , à condition de rester vrai, sans prétention et toujours désireux de servir la musique et du coup tout ce que tu dis n'a plus lieu d'être !
Nous avons beaucoup moins de légitimité à outre-passer les indications du compositeur. Ces grands interprètes ont un talent que nous n'avons pas. Mais encore une fois, et je le répète depuis le début, il n'est pas question de proposer quelque chose de personnel ou pas ! Evidemment qu'en tant qu'interprète nous devons produire notre version à nous, et non pas se "contenter" de suivre une partition sans chercher au-delà ! Mais là le débat porte sur le moment où l'on contredit sciemment la partition au nom d'un choix personnel.
Ce n'est pas la souplesse que je remets en cause, mais la contradiction !
strumpf a écrit : Donc la pratique du pianiste amateur se situe ailleurs, et dans un cadre , à mon avis , beaucoup plus intéressant.
Le piano amateur c'est différent. Ni mieux ni moins bien. Ca a ses avantages et ses inconvénients.
On joue pour soi en général. Pas ou peu de finalité, pas ou peu de reconnaissance du travail accompli, ou alors biaisé parce que en tant qu'amateur, on nous pardonne tout.
A la longue, je trouve ça plutôt frustrant, et un peu démotivant. Donc je cherche la motivation comme je peux.

Je suis d'une manière générale en phase avec le point de vue de Okay. Je trouve justement très enrichissant le fait de devoir se restreindre, de trouver comment s'exprimer mais dans les limites qui nous sont imposées par la partition, en suivant la voie qui nous a été tracée.
Par ailleurs Okay, à la lumière de cette phrase "Si pas de rallenti et pas de point d'orgue, il ne faut pas en inventer. Mais il y a la place d'élargir le phrasé (ce n'est pas rallentir) et d'allanguir la pause (ce n'est pas faire un point d'orgue).", que penses-tu de ma question sur Schumann ? Pourquoi tous les interprètes rajoutent-ils des ralentis et des points d'orgue dans cette oeuvre, alors que Schumann n'a rien noté ?
Je ne peux pas me dire que ces indications sont clairement sous-entendus par la partition, il y a beaucoup de notations de ralenti dans cette partition, parfois évidents. Ca me laisse penser que lorsque Schumann souhaitait un ralenti, il le notait. Alors ? :roll:
Modifié en dernier par nox le lun. 30 juil., 2012 16:13, modifié 2 fois.
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Okay
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Re: Brahms et Schumann

Message par Okay »

Je n'ai pas "la" solution pour l'enchaînement des sections du Carnaval de Vienne, mais mon biais penche vers un enchaînement des sections suivant le tempo.

La raison principale me semble être d'ordre psychologique : Schumann devait avoir une propension à passer du rire aux larmes abruptement bien plus marquée que le commun des mortels. Pour un rien. La plupart des gens ne passe pas sans transition d'un état à l'autre sans y être poussé, on a besoin de digérer une émotion avant d'aborder la suivante. On est plus à l'aise avec le dégradé que la rupture, ça bouscule moins. C'est plus confortable, on peut reprendre ses esprits puis poursuivre. Mais si Schumann cherchait à nous bousculer ? L'ouverture de cette pièce (son refrain), n'est-elle pas déjà une énorme bousculade ? Pour moi, il doit régner un certain chaos. Si c'est bien rangé, on tombe à côté. Ca reste mon point de vue évidemment.

Mais ce point de vue est également supporté par l'autre Carnaval, l'opus 9. Je ne me souviens pas précisément, mais je suis certain que certaines de ses pièces de caractère très différent s'enchaînent explicitement, sans transition et sans pause.
Il y a davantage d'unité dans le 1er mouvement du Carnaval de Vienne, donc encore moins de raisons d'inventer des pauses.

Pour illustrer cette idée, quand Eusebius sort de la scène, on a spontanément envie de lui donner le temps de partir au loin, avant de finalement céder à libérer Florestan.
Je pense que Schumann aurait au contraire aimé les voir se croiser furtivement, se regarder avec effarement, puis les voir partir chacun dans une direction opposée, s'ignorant enfin totalement ...
nox
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Re: Brahms et Schumann

Message par nox »

Eh bien c'est aussi ce que je pense, mais alors pourquoi tant de grands interprètes ne jouent-ils pas de cette façon ? :|
Personne n'exploite cette espèce de folie, de farandole, qui m'évoque parfois (attention, ne tapez pas !) le final du carnaval des animaux.
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Okay
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Re: Brahms et Schumann

Message par Okay »

3 pistes, du plus probable au moins probable :

- Parce que dans tout le reste du répertoire, on est conditionné à structurer nos interprétations. Lorsque la structure est peu claire, notre interprétation cherche à extraire - voire inventer - des structures sous-jacentes. Ceci pour rendre une lecture lisible et compréhensible de l'oeuvre. Ici c'est le problème inverse, les contours sont très nets. On est tellement content d'y voir clair, qu'on force encore plus le trait. J'appellerais ça l'effet "gras+souligné".
- Parce qu'il faut un temps pour se mettre dans l'esprit de la section qui vient, avant de se jeter dedans et de savoir ce qu'on va faire. Et Schumann ne nous le laisse pas.
- Parce que même si tous les pianistes sont fous (ce n'est pas de moi), Schumann était encore plus (génialement) fou ?
nox
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Re: Brahms et Schumann

Message par nox »

Bon eh bien je pense me ranger dans la catégorie des "raisonnables" (mais un peu frustré). On en rediscutera autour d'un piano quand ta main ira mieux, après avoir martyrisé Mozart comme il se doit !
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Oupsi
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Re: Brahms et Schumann

Message par Oupsi »

Merci d'avoir partagé toutes ces réflexions.... le pianiste est aussi, donc, un dramaturge, "metteur en scène"... c'est très intéressant!
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JPS1827
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Re: Brahms et Schumann

Message par JPS1827 »

Okay a écrit : Si pas de rallenti et pas de point d'orgue, il ne faut pas en inventer. Mais il y a la place d'élargir le phrasé (ce n'est pas rallentir) et d'allanguir la pause (ce n'est pas faire un point d'orgue).
Là, tu joues franchement sur les mots ! on est d'accord sur le fait que allargando, ritardando, rallentendo, slentando n'ont pas la même signification expressive, mais dans tous les cas si tu mets un métronome à côté, tu constateras que ça ralentit !
nox a écrit :Nous devons constamment faire nos preuves lors des prestations. Et ce que l'on discute comme un choix d'interprétation peut-être considéré comme une grosse erreur d'interprétation.
Oui effectivement, on peut se "contenter" d'être applaudi par ceux qui n'y connaissent rien, mais dans ce cas on reste en bas de l'échelle. Pour monter dans ce milieu, on ne peut pas penser de cette façon. Ce ne sont pas "ceux qui n'y connaissent rien" qui font ou défont un musicien.
Là, tu exprimes assez clairement le problème de l'amateur de haut niveau. Il faut bien comprendre que le fait de jouer de façon parfaitement correcte ne te donnera jamais aucune légitimité. Le monde des professionnels est un autre monde, non pas parce qu'ils jouent mieux (certains jouent nettement mois bien que des amateurs) mais parce qu'ils gagnent leur vie avec la musique. Je te citerai deux phrases, une lue et une entendue pour que tu cernes mieux le problème :
Après le 2ème concours des grands amateurs, un critique écrit à propos du 2ème prix (un copain à moi d'ailleurs) : "son Isle joyeuse libre et inspirée faisait mieux que singer les habituelles prestations des professionnels", sic.
Après avoir plutôt bien joué les Jeux d'eau de Ravel à la pianiste Inger Södergren (grande musicienne au demeurant) je me suis entendu dire : "bon, on a déjà un million de pianistes capables de faire ça, on n'en a pas besoin d'un de plus".

Ca te situe le problème. Ce n'est sûrement pas la correction formelle qui t'apportera une certaine reconnaissance ! C'est la conviction personnelle de livrer ce qu'on doit jouer, et parfois, il faut le reconnaître, le brio pianistique (faire des octaves crépitants dans la 6ème rhapsodie est un sûr moyen d'être reconnu, mais tout le monde ne peut pas, et si on n'a pas ça de façon quasi innée, il y a d'autres choses dans la musique pour s'exprimer). Si tu peux respecter scrupuleusement ce qui est écrit en le faisant, tant mieux (c'est à mon avis un leurre, l'écriture étant d'une grande imprécision, même chez Ravel, par exemple où est-il écrit qu'on ne doit pas jouer les notes des accords toutes avec la même intensité pour que ça sonne bien, ou est-il écrit qu'on doit jouer la main gauche q-d'une valse de Chopin moins fort que la main droite, où est-il écrit qu'on doit faire entendre les entrées du sujet dans une fugue ? etc.). Si tu dois faire des choses pas écrites, ça n'intéressera ou ne gênera que les pianistes qui t'écoutent. On ne joue pas principalement pour les autres pianistes, bien qu'on aime bien être reconnu par eux, ça n'est pas un objectif prioritaire
nox
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Re: Brahms et Schumann

Message par nox »

"On ne joue pas principalement pour les autres pianistes, bien qu'on aime bien être reconnu par eux, ça n'est pas un objectif prioritaire"
Mais pour moi c'en est un !

Pour moi la grande différence entre un amateur est un professionnel, c'est justement la manière dont ils sont jugés !

Le problème c'est que quand tu joues en tant qu'adulte amateur pour un public de profane, c'est toujours "super" :|
Un pianiste amateur massacre la première ballade ou l'étude op.10 n°3, on lui dira "bravo ! super ! formidable !", tu arrives derrière avec un travail plus abouti, tu auras droit à ton "bravo ! super ! formidable !" aussi (et encore, peut-être moins enthousiaste parce que l'autre joue des tubes :mrgreen: ). Et voilà...
Quel intérêt de travailler des heures et des heures, de peaufiner une interprétation, de parfaire sa technique et sa maîtrise du son, si c'est pour être jugé au final sur une échelle de valeur tellement grossière que tout cela n'a presque plus la moindre importance ? Effectivement dans ce cas, pas la peine de se prendre la tête sur les détails de la partition :|

Le monde amateur, c'est un peu "tout le monde est super". C'est agréable, mais lassant quand on cherche à savoir ce qu'on vaut vraiment.
C'est d'ailleurs je pense la raison pour laquelle les concours amateurs commencent à fleurir un peu partout.
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Oupsi
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Re: Brahms et Schumann

Message par Oupsi »

Ah non, les profanes, quand c'est massacré, ils s'en rendent bien compte que c'est massacré, même s'ils ne savent pas exactement pourquoi. Les profanes, souvent, sont gentils et félicitent l'amateur parce qu'ils admirent justement que l'amateur joue "pour rien", pour donner de la musique. [AJOUT EDIT : il y a autre chose, c'est difficile de parler de la musique avec précision. Vous le voyez bien ici même, ceux qui sont capables de commenter de manière constructive ne sont pas si nombreux dans le forum; personnellement j'adore la musique et ne suis pas totalement inculte, mais je n'ai pas les outils pour commenter de façon intelligente, précise et utile; le pianiste qui a très bien joué, s'il me demande ce que j'en pense, devra donc se contenter de l'expression naïve de ma joie et de ma reconnaissance...]

Mais la vraie question, à mon humble avis, puisque vous parlez de reconnaissance, c'est ce nombre incroyable de prestations où l'on s'emmerde un peu, ou bien où l'on trouve que c'est bien mais que ça manque de ce je ne sais pas quoi qui va enflammer l'écoute. Et ça, je pense que ça arrive aussi bien chez les professionnels que chez les amateurs. C'est la présence ou pas du "duende" comme disent les Espagnols, le feu sacré, la conviction profonde, la grâce. Cette chose là on la trouve souvent chez des amateurs de haut niveau et chez des professionnels pas connus, des ensembles de musique de chambre pas très connus.
Modifié en dernier par Oupsi le lun. 30 juil., 2012 17:33, modifié 2 fois.
mieuvotar

Re: Brahms et Schumann

Message par mieuvotar »

Bon tout d'abord, un grand bravo - un grand merci devrais-jeplutôt dire - à tous les principaux contributeurs de ce fil que je lis assidûment depuis qu'il est ouvert et dont j'apprecie la haute tenue. J'apprends personnellement beaucoup de tous vos échanges. =D> =D> =D>

Ceci posé, je ne peux pas ne pas réagir aux quelques propos suivants de Nox:
nox a écrit : (...) Le problème c'est que quand tu joues en tant qu'adulte amateur pour un public de profane, c'est toujours "super" :|
Un pianiste amateur massacre la première ballade ou l'étude op.10 n°3, on lui dira "bravo ! super ! formidable !", tu arrives derrière avec un travail plus abouti, tu auras droit à ton "bravo ! super ! formidable !" aussi (et encore, peut-être moins enthousiaste parce que l'autre joue des tubes :mrgreen: ). Et voilà...
Quel intérêt de travailler des heures et des heures, de peaufiner une interprétation, de parfaire sa technique et sa maîtrise du son, si c'est pour être jugé au final sur une échelle de valeur tellement grossière que tout cela n'a presque plus la moindre importance ?
(...)
C'est quand même prendre tes auditeurs (nous tous, finalement, si on regarde ça de manière générique) pour des mécréants au mieux,. des c... incultes au pire, non ?
Pas très respectueux, je trouve. "Profane" n'est pas nécessairement synonyme de "Incapable d'avoir un jugement valide". J'ai plein d'amis, qui ne sont ni pianistes ni mélomanes, mais qui ont quand même un bon goût musical et qui bêleront pas "bravo, super, formidable" à tout bout de champ et à mauvais escient comme des moutons benêts, comme tu sembles le laisser penser.
nox
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Re: Brahms et Schumann

Message par nox »

il y a massacré et massacré, évidemment. Ce que je veux dire c'est que entre une prestation poussive à peu près en place et une prestation plus aboutie, le gap est rarement perçu.

@mieuvotar : il ne faut pas prendre la mouche comme ça. Je ne jette pas la pierre au public, c'est normal de ne pas se rendre compte de tout ce qui se passe. Quand je vois des tournois de tennis amateur, comme je n'y connais rien, j'ai l'impression que le moindre junior est un futur numéro 1 mondial :mrgreen:
Mais quand même, il faut bien se dire que d'une part, on est jugé en tant qu'amateur, donc avec toutes les excuses que cela fournit (peu de temps de travail, études musicales moins poussées, moins d'occasion de se produire, plus de stress, moins bons instruments etc...), ce qui fait que dans un tel référentiel effectivement ce que fait la plupart d'entre nous peut être considéré comme formidable (et pour le coup je ne suis pas du tout péjoratif).
Et d'autre part oui des mélomanes éclairés il y en a aussi lors des prestations amateur, mais ils restent très minoritaires. Et c'est normal, puisque ces mélomanes recherchent justement une certaine qualité que les interprètes amateurs ne garantissent pas.
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Marie-france
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Re: Brahms et Schumann

Message par Marie-france »

Je trouve bien triste qu'il y ait tant de compétitivité même dans l'art, dans ce monde! :cry: Quelle souffrance cela induit! L'art pour l'art ce serait mieux!
nox, ta valeur, je suis sûre que tu la connais. La reconnaissance des autres c'est plus compliqué, et en as-tu tant besoin? Ne peux-tu avancer sans cela?
Jean-Luc
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Re: Brahms et Schumann

Message par Jean-Luc »

Nox, je crois que je comprends mieux ton problème.
Alors je n'ai qu'une chose à dire : fais comme tu le penses, c'est-à-dire en ne rallentissant pas. Les autres pianistes (même les plus grands) font comme ils veulent mais je vois que ça te procure une immense perplexité... :mrgreen:

Si tu as "peur" de te faire mal juger par un jury de concours pour ce ralenti (qui pour moi est un détail tout à fait secondaire*), alors ne le fais pas.
Dans cette histoire, personne n'a raison et personne n'a tord.
Mais je trouverais le jury un peu pervers s'il te tenait rigueur pour ça.

Le plus important à mes yeux, c'est que l'oeuvre soit construite dans la tête du pianiste, que ça soit cohérent, et sans erreur de style. Et encore mieux, qu'au travers de tes doigts, tu proposes une vision personnelle de ce Carnaval.
Toutes les suggestions sont bonnes à prendre, et l'image de "farandole haletante" est absolument défendable à mes yeux.

Après, il faut savoir si tu joues "pour plaire aux membres du jury" ou si tu joues pour "donner quelque chose à ton auditoire". Il me semble que le plus intéressant est la 2ème option. Non :wink: ?

* : quand je dis secondaire, je ne veux pas dire que ce n'est pas important. Ca change beaucoup la vision de l'oeuvre. Je dis secondaire car ce n'est, toujours selon moi, ni une faute, ni une erreur de style. C'est juste une vision différente.
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JPS1827
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Re: Brahms et Schumann

Message par JPS1827 »

Mais nox, ce que tu décris se produit exactement de la même façon dans le monde professionnel. Des tas de prestations assez médiocres sont jugées géniales par un public conditionné à l'idée qu'il est venu entendre quelque chose de bien (en plus il a payé cher). Le public vient pour avoir quelque chose, comment il l'a eu, ça ne l'intéresse pas. Soit il est l'objet d'une illusion liée à la notoriété de celui ou celle qu'il est venu entendre, soit il a réellement vécu une émotion rare, soit il s'est un peu ennuyé, dans tous les cas il met en scène qu'il est content, il applaudit.

Maintenant, mets-toi une chose en tête : imagine que tu donnes un concert où tu joues le Carnaval de Vienne de façon géniale, ou tu sois content de toi, et où effectivement tu aies très bien joué, avec une sorte d'état de grâce, toujours libre de jouer comme tu veux, en communication avec le public, dans une salle qui sonne bien. Le public te fera une ovation. Eh bien s'il y a des profs de piano ou des pianistes professionnels ou des critiques musicaux dans la salle, aucun ne viendra te dire que c'était mieux que le jour où il a entendu Richter, ou même d'autres pianistes moins célèbres. Dans tous les cas on te parlera comme à un (bon ) élève, on te dira que c'est bien, que tu as beaucoup de facilités, que c'est incroyable "pour un amateur" (justement ce que tu n'as pas envie d'entendre). En quelque sorte tu t'es mis en tête de cueillir par la perfection de ton jeu le public que précisément on ne peut pas cueillir, celui qui se targue perpétuellement d'être celui "à qui on ne la fait pas". J'ai essayé aussi, c'est sans espoir, si tu n'es pas pianiste pro tu ne fais pas partie de ce monde, point-barre. Ils te présenteront à leurs copains en disant que tu joues très bien, mais tu ne seras jamais dans la même cour, pas du tout pour une question de niveau de jeu, mais pour une question de non-appartenance à leur monde (tu pourras avoir une petite idée de ce qu'ils pensent vraiment de ton jeu seulement en les entendant parler des autres pros et d'autres amateurs - inutile de trop répéter ces propos d'ailleurs). Et c'est normal ! être musicien professionnel, c'est très dur, c'est quand même logique qu'on ne puisse pas en avoir les avantages sans les inconvénients et tout l'investissement personnel que cela suppose.
Jean-Luc a écrit :Après, il faut savoir si tu joues "pour plaire aux membres du jury" ou si tu joues pour "donner quelque chose à ton auditoire". Il me semble que le plus intéressant est la 2ème option. Non :wink: ?
En fait ça peut plaire aux membres du jury que tu donnes quelque chose à ton auditoire (le jury fait partie de l'auditoire !), mais ce n'est pas garanti, loin de là.
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